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7 décembre 2016 3 07 /12 /décembre /2016 17:16

                                            Ces rencontres avec les parents d'élèves ont été donc toujours fructueuses ; et, malgré leur lourdeur, l'extrême attention qu'elles exigeaient, et, conséquem-ment, la fatigue qu'elles entraînaient, je les atten-dais chaque fois impatiem-ment. C'était aussi, en

Ci-contre un exemple anonyme de rencontre d'un professeur  avec élève et mère.

quelque sorte, une occasion agréable de sortir du monde un peu clos d'un établissement scolaire, du moins trop centré sur les actes d'enseigner. Une occasion de prendre contact avec le monde qui entoure un collège, la réalité tout simplement. Contact oh combien ! bénéfique donc, et qui, il y a maintenant huit ans, restait courtois. Les parents que j'ai connus durant près de quarante ans respectaient les professeurs, leur faisaient confiance ; et ce respect était bien sûr, naturelle-ment, réciproque. Certes on me racontait des rencontres parfois orageuses ; personnellement je n'en ai jamais vécu.

                               Pourtant, une fois, j'attendais avec impa-tience, un peu d'inquiétude même, les parents d'un élève de 3e qui s'était affreusement comporté avec moi. Voici.                                Il était en général peu intéressé par les cours de français, riait ostensiblement  hors de propos ou interve-nait, main levée toutefois, pour ne rien dire, juste pour amuser, pour passer le temps. Je le remettais facilement à sa place, avec le consentement manifesté de ceux qui vou-laient travailler sérieuse-ment . D'autres professeurs se plaignaient de ses perturbations en cours ; je le lui rappelai à l'occasion, d'autant plus que j'étais son "professeur prin-cipal ", chargé de coordonner les informations sur lui. Il parvenait finalement à se tenir à sa place ... Mais un jour, alors que je passais, en dictant une note, dans l'allée où il était assis, j'entendis des élèves pousser des oh ! ; un autre, plus clair, me dit : " Monsieur, regardez votre panta-lon, voyez ce que Régis a fait ". Je vis plusieurs traînées d'encre sur le tissus. Régis, avec aplomb, avoua, la main sur son stylo. Je n'avais jamais subi pareille atteinte, j'étais en colère. Mais je gardai mon calme indispensable, fit re-marquer à Régis la gravité de son geste (il semblait, hélas ! ne pas comprendre vraiment), et fis appeler, par un des deux chefs de classe élus, un surveillant, qui le sortit de la classe. Avec l'accord du Principal, il fut exclu une semaine, avec nécessité de se mettre à jour des travaux qu'on lui communiquerait.

                     Les parents, informés, se dirent consternés, mais peu surpris, connaissant leur fils. Les rencontrant, en présence de Régis, peu de jours après, je compris mieux. Ils avaient eux aussi beaucoup de mal avec lui, se confon-daient en excuses, me priant de lui pardonner, qu'il ne re-commencerait plus ... Régis de tenait coi. Je les rassurai, ému par leur désarroi et leur gentillesse. Encore une fois, cette entrevue m'apprit mieux combien certains parents pouvaient avoir des difficultés avec leurs enfants - parfois bien instables pour le moins, parfois même médicalement suivis - , combien aussi ils comptaient sur nous. "N'hésitez pas à nous contacter pour tout autre manquement, il aura, comme cette fois, affaire à nous". Régis s'engagea devant nous à ne pas récidiver d'abord, à se mieux comporter aussi, dans toutes les matières. Et il tint parole, même s'il ne fallait pas le lâcher des yeux trop longtemps.  

                                 Je souhaite qu'en 2016, au moins à Us-sel, les problèmes de discipline continuent à être réglés ainsi. J'en doute, hélas ! plusieurs collègues, qui exercent encore, m'assurant que les choses ont déjà beaucoup changé :  incivilités croissantes, parents de moins en moins coopérateurs, de plus en plus accusateurs du pro-fesseur avant tout et avant même de savoir. J'écoute mes amis presque incrédule, leur disant qu'enfin ces dégra-dations, ces violences, parfois terribles, ne sévissent que dans les grandes villes, région parisienne en tête ... " Mais non ! c'est fini, Ussel et la province ne sont plus à l'abri ! C'est terrible, c'est épuisant, c'est décourageant ! " J'essaie de les rassurer de mon mieux, quoique fort inquiet moi -même de pareille évolution.            Ci-dessous : photo 2001 avec la classe de 4e D.

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14 avril 2016 4 14 /04 /avril /2016 10:51

Oui, les rencontres avec les parents sont toujours intéressantes, même si elles ne sont pas toujours utiles. Ainsi, voir les parents d'un élève qui travaille bien et ne pose aucun problème ne sert à rien pour l'élève, mais, même dans ce cas je tirai profit de l'échange. Après les compliments attendus par la famille, bien entendu, j'étais passionnément curieux d'apprendre comment on devient un bon élève ; quels sont les conditions qui le déterminent, hors la seule situation sociale qui entraîne tant de choses. Car il arrivait assez souvent que c'étaient des parents modestes, eux-mêmes peu cultivés. Je tire de ces cas une première leçon : c'est le regard des parents sur l'enfant, la confiance qu'ils manifestent pour les études et pour lui, le respect qu'ils ont de l'institution scolaire qui d'abord étayent l'attitude du fils ou de la fille en classe et face au travail. L'enfant réagit en premier au climat de sérénité et de confiance qui règne autour de lui, lequel soutient sa volonté, sa persévérance. Il vaut mieux un couple de travailleurs modestes mais courageux et admirateurs du savoir, qu'un couple aisé, riche et cultivé mais qui ne sait pas, ne veut pas mettre en avant les valeurs de travail et d'obstination dans les efforts. La deuxième leçon est la suivante : quels que soient les parents, et leur désinvolture parfois, il faut toujours les traiter avec le plus grand respect, la plus grande attention ; car ils sont là devant vous d'abord parce qu'ils aiment leur enfant, qu'ils veulent le meilleur avenir pour lui, et qu'ils attendent de vous, tout normalement, compréhension et aide. Je n'ai jamais terminé ces rencontres marathoniques (quelquefois de 16 H à 22 h !) sans le vif sentiment d'avoir rencontré des êtres humains passionnants, inquiets ou malheureux. J'en étais heureux au fond de moi. Mon regret le plus grand est de ne pas rencontrer, en général, les parents des élèves le plus en difficulté ; soit qu'ils n'osassent pas, soit qu'ils fussent eux-mêmes trop en difficulté dans la vie pour se plier à cette entrevue qui eût ajouté encore un problème à leur existence.

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18 novembre 2014 2 18 /11 /novembre /2014 09:28
3e-F-1987.jpg Salle 22, Collège d'Ussel Classe de 3eF, 1987.                                         La salle 22 que j' ai occupée durant plus de dix ans .  

                                                         En dehors des convocations faites par le professeur lui-même, les parents d'élèves étaient tous conviés, au moins une fois par an, à rencontrer les professeurs de la classe. C'était une soirée importante, fréquentée par des centaines de parents (pour un collège de 700 familles environ en 2008), qui pouvait durer de 17 h à 22 h ou plus. Les parents tenaient à voir le "professeur principal" (professeur coordinateur des résultats de l'élève dans la classe) surtout. Ces soirées étaient un véri-table rite, un échange essentiel ; et je les ai toujours traitées avec beaucoup de sérieux et de conviction. Le professeur attendait les familles dans sa cla-sse, faisant entrer les personnes (en général père, mère et élève ; mais, le plus souvent, l'élève n'assistait pas à l'entretien) à tour de rôle, pour un temps donné approximatif (un quart d'heure environ), que j'indiquais dès le début, sous peine de ne pouvoir recevoir tout le monde. Car, dans le cou-loir, devant la porte, une longue file attendait souvent. J'ai toujours fait en sorte d'accueillir au mieux les familles, dans nos modestes salles de cours, sur un très vieux plancher brut, entre des tables hétéroclites et vieilles. J'installais une grande table pour deux, entourée de deux chaises, face à une table individuelle où je prenais place. Une vraie proximité donc, que je m'efforçais de rendre aussi cordiale et respectueuse que possible. La vo-lonté d'être utile et aimable suppléaient la grande simplicité, l'austérité des lieux.  

                     La difficulté que j'ai constamment ressentie était de dire la vérité aux parents, sans jamais décourager personne, sans jamais blesser non plus, bien sûr. L'attente, les espoirs et l'amour des familles pour leurs enfants sont si grands que l'on est ému, tout à l'écoute, et profondément soucieux d'être constructif et rassurant. Beaucoup de parents font des con-fidences précieuses, troublantes même, pour mieux faire connaître leurs enfants ; et je ne me lassais jamais (l'horloge heureusement veillait) de les écouter,d'essayer de comprendre avec eux comment mieux faire réussir leur progéniture. Je prenais des notes précises. Il fallait toujours, selon moi, quel que que fût l'échec en fait de l'élève, mettre le doigt sur l'aspect positif, et finir par une détermination commune et l'espoir. A vrai dire, le plus pénible était de trouver un terme aux compliments que méritaient cer-tains, car ce n'était jamais assez pour les heureuses familles ; et la rencon-tre alors, tout en restant psychologiquement riche, servait peu. Il valait mieux consacrer son temps aux élèves "en difficulté",comme on dit. Hélas ! j'ai souvent attendu vainement des parents d'élèves "à problèmes" : pour quantité de raisons, ce sont eux qui venaient le moins.

                     Mais que ces rencontres étaient humainement passionnan-tes ! Rien n'est plus émouvant que de voir vivre devant soi la passion, le souci des parents pour l'éducation de leurs enfants ; leurs attentes, leur grande confiance en général aussi dans le système éducatif et dans les pro-fesseurs. Le regard que l'on jetait sur tel élève en sortait souvent changé, nombre de parents révélant des faits, des détails qu'ils étaient seuls à con-naîre. Plusieurs fois, j'ai revu des parents dont j'avais déjà eu une fille, un fils en classe. C'était de joyeuses retrouvailles. Plusieurs fois aussi, j'ai ren-contré une mère, un père que j'avais eu comme élève quelques années au-paravant. Le plaisir était grand, comme si j'étais désormais un peu de la fa-mille. Je veux dire, donc, que ces rencontres ne se limitaient vraiment pas au terrain pédagogique ; et que leur plus grand intérêt, selon moi, résidait dans le partage humain,les uns et les autres étant d'abord satisfaits de met-tre un visage à des personnes qui sortaient ainsi du pur anonymat adminis-tratif en s'incarnant. 

                     J'ai beaucoup appris de ces rencontres. J'en suis sorti toujours réconforté, encouragé dans mes efforts de professeur, malgré les rares in-compréhensions qui pouvaient se manifester. Aussi, ai-je toujours accep-té volontiers, en plus de ces soirées programmées, les rendez-vous parti-culiers que souhaitaient les parents-d'élèves. De toute façon, selon moi, ces rencontres permettaient de mieux comprendre, d'éclairer le rapport avec les élèves. Ils ne devaient toutefois  jamais, je le pense fortement, bouleverser le rapport en classe avec l'élève : ce rapport est l'essentiel, et il appartient au professeur seul d'en établir la nature, d'en trouver l'équilibre juste, en faisant la part de toutes les informations obtenues.     

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21 septembre 2014 7 21 /09 /septembre /2014 17:33
Fond de la salle 22, Collège d'Ussel   Salle 22, où eurent lieu pour moi quantité de rencontres avec les parents d'élèves. 

                                                                                                                               Oui, comme je le disais dans mon drenier article, les relations avec les parents d'élèves sont d'une autre nature, et surtout d'un autre intérêt. Un professeur rencontre peu, finalement, les parents d'élèves : eux demandent rarement à le voir (après tout, s'ils font confiance, cela suffit) et le professeur, en général, les convoque peu. Il peut le faire, pour tout problème rencontré, pour faire un bilan nécessaire ... Ces convocations dépendent de la façon de faire aussi de chaque professeur. Pour ma part, j'ai très peu convoqué ainsi, estimant que la relation fondamentale à cul-tiver est celle avec les élèves. De plus, pour des problèmes de discipline, disons, j'ai toujours pensé que c'est un absolument ultime recours ; à éviter au maximum : tout problème qui ne se règle pas en classe ne se règle jamais vraiment. J'ai constaté des abus de convocations et mots dans les carnets de correspondance chez certains collègues, qui se retournaient vite contre eux. Mais dans sa classe, un professeur fait comme il l'entend ...  

                    Pourtant, toute rencontre avec un parent d'élève est, selon moi, importante sinon passionnante.

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19 mars 2014 3 19 /03 /mars /2014 10:34

    Fond-de-la-salle-22--College-d-Ussel.JPGPot-de-depart-JPG--College-Ussel--juin-2008-.JPGRepas-profs rentrée 2007.                                                      Je traiterai ici des contacts, des rencontres, des découvertes que j'ai faites avec les adultes, durant mes trente six années d'enseignement au Collège d'Ussel, puis dans les cours que j'ai donnés à des adultes à Rosas (Gerona, Espagne) en 200862009 - ainsi que je l'annonçais dès mai 2010.

                                                 Préalablement je dois dire - comme je l'ai déjà suggéré à l'occasion auparavant - que la seule vraie, forte joie que j'ai éprou-vée dans mon métier d'enseignant m'est venue des élèves (Ah ! salle 22 ! où je fis toujours cours pendant plus de dix ans, jusqu'en 2008, je te revois souvent dans mes rêves ...)  ; la relation avec les adultes dans ce métier étant d'une tout autre nature.

                                                Au Collège d'Ussel, pendant trente six ans, je fréquentai, bien sûr, des centaines d'adultes : administration, profes-seurs, parents d'élèves. Les adultes de l'administration entrent dans des relations avant tout fonctionnelles, exigées par le fonctionnement du sys-tème éducatif. Dès lors, comme dans toute communauté professionnelle, il y eut des rapports agréables - au-delà de la simple utilité - ou désagréables selon les personnes (secrétaires, surveillants, agents) , selon le caractère des uns ou des autres (moi compris évidemment), et souvent il n'y avait rien à faire ni à dire : c'était ainsi, et cela n'avait pas beaucoup d'importan-ce. Seuls les chefs d'établissements avaient un rôle plus conséquent, dès lors qu'ils dirigeaient la maison et émettaient un avis annuel sur les profes-seurs (avis de peu de conséquence du reste ; moins déterminant que celui des inspecteurs pédagogiques, lesquels aussi furent plus ou moins amè-nes selon leur aractère).                                                                                 J'ajoute juste un mot donc sur les chefs d'établissements. Entre 1972 et 2008, j'en connus six, deux femmes et quatre hommes. Ce ne fut jamais aisé pour personne, car un chef d'établissement est avant tout, le plus sou-vent, un ex-professeur qui a changé de fonction volontairement, pour trois raisons : ne plus supporter les élèves (on est loin donc de la belle relation pédagogique professeur- élève que je juge irremplaçable !), commander da-vantage et être mieux payé. Le risque dès lors est grand d'avoir un chef d'é-tablissement autoritaire (ou craignant de manquer d'autorité, ce qui est pi-re), distant, manipulateur, peu ou pas intéressé par les cours et la transmis-sion des savoirs. De fait, parmi les six principaux (c'est leur appellation ad-ministrative) que je connus, quatre furent pénibles à supporter ou médio-cres (et l'un d'eux odieux même), deux pleins de qualités intellectuelles et humaines ; et surtout le dernier que je connus, et qui figure sur la photo de gauche ci-dessus.   

                            Pour ce qui est des professeurs (le Collège en compta ré-gulièrement plus de cent), des collègues, les rapports furent avant tout, c'est normal, professionnels ; et, dans ce cadre, chacun avait intérêt à faire des efforts d'écoute, d'amabilité, de solidarité. L'amitié, c'est autre chose, et parmi les professeurs, je n'eus jamais plus de quatre ou cinq amis, ce qui est assez ou beaucoup. La communauté des professeurs n'est qu'une com-munauté d'intérêts communs, qui ne vaut que dans l'établissement. Sinon, pour des raisons de méthode, de choix pédagogiques, de conception de la discipline, de vision du rapport élève-professeur ... , il était facile de se fâcher avec un collègue. Le mieux, sauf nécessité vraiment absolue, était dans ces cas-là de fuir l'affrontement et parfois même toute relation avec la ou les personnes concernées. Ce n'est pas grave, c'est la loi des relations humaines : on s'entend avec quelqu'un d'abord parce que c'est lui, parce que c'est moi, comme l' a dit Montaigne pour l'amitié. J'ai souvent été déçu, choqué, hélas ! par l'insuffisance de l'intérêt pour les savois, la culture chez de trop nombreux collègues ... Cela me paraissait plus grave.   Salle 22, Collège d'Ussel

                         Les relations avec les parents-d'élèves sont tout autres et d'un tout autre intérêt.           A SUIVRE PROCHAINEMENT.                                                 

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10 janvier 2014 5 10 /01 /janvier /2014 18:30

SAM_6348.JPG                                                                              Dans la pratique pédagogi-que, il paraît nécessaire de retenir, dans une hiérarchie décroissante, les niveaux de langue suivants : soutenu (ou littéraire), courant-standard, fami-lier, populaire ; encore que ces deux derniers se confondent dans quantité de cas. Quant à la la hiérarchie elle-même, il faut la traiter avec prudence et sans exclusion a priori, chaque niveau, autant à l'oral qu'à l'écrit, ayant une fonction précise - souvent indispensable - dans une situation particulière (contexte) d'énonciation. Que seraient, sans ces niveaux, souvent savou-reux, quantité  de  grands  écrivains, depuis  Aristophane  et  Rabelais  au moins : les Queneau, Vian, Prévert et autres Céline ... ? Prenons un exem-ple, celui du véhicule à quatre roues, d'un riche échantillon de niveaux :  au-to (courant), voiture ou automobile ou véhicule (soutenu), bagnole (fami-lier), caisse ou char (populaire) ; sans parler, entre autres, de clou, tacot, guimbarde, poussette, tire ... qui sont également populaires (voire argoti-ques, ainsi pour tire)  mais avec une connotation (métaphorique souvent) péjorative. Aucun de ces termes désignant une auto n'est à proscrire a prio-ri : l'important est de les utiliser et tolérer à bon escient seulement, ce que font, du reste, depuis toujours, les prosateurs et poètes eux-mêmes donc. Que seraient, encore une fois, Cendrars, Aragon, Houllebecq ... et nombre de bons auteurs de polars sans cet évantail coloré, infini  des  niveaux  de  langue                       

                            Le seul niveau qui soit à exclure sans concession est le vulgaire.Il ne faut jamais le tolérer, même pour rire, comme on dit sans bon-ne raison, car il ouvre la porte (le professeur doit apparaître comme la réfé-rence) aux abus, aux défoulements, aux chahuts qui dégénèrent vite. Et pourtant, bien sûr, les élèves, entre eux, outre qu'ils ont leur vocabulaire, ai-ment cette transgression qu'opère le vulgaire : le mot de Cambronne et cet-te autre grossiéreté de trois lettres (véritable ponctuation mécanique même dans certaines régions ou situations de locution !) ont un succès que cha-cun connaît. 

                Après ces considérations un peu rébarbatives, sans doute, sur la problématique des niveaux de langue (considérations pourtant limitées ici à ma propre expérience, encore une fois), voyons, dans la pratique, en clas-se, comment répondre, selon moi, aux situations concrètes d'enseignement et d'utilisation de la langue prise sous cet aspect particulier. 

               Eh bien ! j'ai toujours pratiqué les règles ci-dessus invoquées. En classe, s'en tenir à la langue dite courante/standard pour les échanges or-dinaires et l'enseignement oral ou écrit au tableau. D'ailleurs, le premier cours de grammaire (car j'en ai toujours fait tels quels, malgré des repro-ches officiels, et avant que les consignes le préconisent à nouveau ...) com-mençait toujours par une considération sur les niveaux de langue, et sur le niveau central auquel devait concourrir mon enseignement. Ensuite, cha-que fois qu'un autre niveau était rencontré, il était expliqué et justifié (par exemple chez Corneille ou Racine, ou en poésie). L'emploi des subjonctifs dans la langue littéraire ou classique généra quelques difficltés (que le cours de grammaire éclaira). Le Corneille du Cid, dans sa langue claire et sans date presque, utilise beaucoup le présent et le présent de narration. Mais parfois, comme dans son explication au Roi, après la mort du Com-te, Don Diègue dit : "Si Chimène se plaint qu'il a tué son père, Il ne l'eût jamais fait si je l'euse pu faire". L'Andromaque de Racine - et Racine en général - contient beaucoup plus d'emplois du subjonctif aujourd'hui évités. Pyrrhus, disant son amour fou à Andromaque dans l'acte I, assure, invo-quant les Grecs devant Troie :"Mais dussent-ils encore, en repassant les eaux, Demander votre fils avec mille vaisseaux, Coutât-il tout le sang qu'Hé-lène a fait répandre, Dussé-je après dix ans voir mon palais en cendre, Je ne balance point, je vole à son secours". Cette belle langue classique fut toujours, d'ailleurs, un bon appui pour parler d'histoire de la langue et des niveaux littéraire et soutenu eux-mêmes.                                                                   Même démarche chaque fois aussi qu'un élève employait un niveau particulier ; et, s'il échappait une, disons, grossiéreté, il devait immédiatement présenter ses excuses (un emploi clai-rement volontaire entraînait une punition). Les élèves en étaient bien sûr a-vertis préalablement, parfois dans un Contrat  écrit  de classe, comme je l'ai expliqué dans un article précédent. En fait, souvent, ces échanges é-taient des occasions de rire ensemble. Ainsi à propos de l'énergie farouche de Rodrigue vengeant son père, quand un élève commenta qu'il était vrai-ment crâneur ; ce qui permit du même coup de parler de crâne, qui, vieil-li, signifie brave. Même démarche, même éclats quand un autre employa bé-zef pour signifier beaucoup (normal) ; maints, nombre, quantité (soutenu), vachement (familier) arrivèrent alors tout naturellement. Quant au ouais (Robert le dit mod. et fam.) qui se veut détendu, décontracté disons, il est aussi à refuser : il ouvre la porte au laisser-aller, au manque de respect ... ; et seul le oui doit être accepté en classe (hors de tout contexte qui  justifie-rait cette familiarité). La classe n'est pas la cour de récréation.    

            Pour les travaux écrits  demandés aux élèves, même règle. Au-cun niveau (hors donc le grossier) n'était interdit, à condition qu'il soit jus-tifié par le contexte (situation d'énonciation) ; et, mieux encore, que la copie fasse comprendre, sentir, le choix fait. En effet, un niveau mal employé fai-sait, c'est normal, l'objet  d'une  note   dans la   copie, avec consigne  de  le  corriger.   

          Ce ne fut pas toujours aisé, on le comprend, d'autant que le niveau courant/standard évolue dans les dictionnaires ; et que donc, hélas ! les grammaires utilisées survolent ou ignorent ce questionnement sur la lan-gue et son enseignement. Ce fut, d'un autre côté, raisonnablement facilité pour moi par le fait que le Collège d'Ussel, où j'ai le plus longtemps exercé, connaissait peu encore les incivilités et la violence, qui entravent ou empê-chent toute obéissance et un appprentissage serein, appliqué de la langue française. Je sais combien les problèmes de discipline, ailleurs, dans les grandes villes ..., limitent ou interdisent ces apprentissages. Etre profes-seur dans une petite ville - le Collège, néanmoinsSAM_6354.JPG, compta jusqu'à plus de 1000 élèves - offre également bien des avantages et des gratifications, on le voit ...   SAM_6356.JPG

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9 janvier 2014 4 09 /01 /janvier /2014 18:53

SAM_6347.JPG,                                                                                            Mais le Précis de Brunot et Bruneau n'était pas destiné à une utilisation pédagogique. Voici ce que dit, en 1961, la Grammaire française de Dubois, Jouannon et Lagane, en 1961 (édition Larousse), destinée, comme le disent les auteurs dans l'Avan-propos, aux "lecteurs" en général et à "l'enseignement de la gram-maire pendant toute la scolarité". A propos du Style, on lit : "Il y a : une lan-gue écrite et une langue parlée. Chacune comporte plusieurs niveaux : lan-gue parlée (familière, populaire, argotique), langue écrite (académique, sur-veillée (ou style soutenu)" ; différences, ajoute-t-elle, comme la plupart des grammaires, qui s'expriment dans : le vocabulaire, la morphologie, la syn-taxe. C'est raisonnablement énoncé, quoique la distinction parlée-écrite ne soit pas opportune, comme l'affirment des recherches postérieures : ainsi Marie-Claude Gélinas dans son livre La communication, notions fondamen-tales (2005). Dans les deux situations de communication (oral et écrit), les choix possibles de niveaux par le locuteur sont en fait les mêmes. Quant à l'argot, il est plus une langue (des malfaiteurs, du milieu) qu'un niveau de langue ; et le terme "académique" est ambigu. En 1973, chez Larousse aus-si, La nouvelle grammaire du français, de J.Dubois et R.Lagane, "à la disposition des enseignants et des élèves" - sans préciser pour quelles classes - , est peu bavarde sur notre sujet. Dans les premières pages, dans Langue et parole, il est écrit : "D'un côté, il y a les règles de la langue, cel-les qui définissent le français, et, de l'autre, les utilisations diverses que chacun fait des mots et des constructions que lui offre la langue dans des actes particuliers de parole." Mince et décécevant ... pour cette gram-maire par ailleurs solide, enrichie des avancées de la linguistique. Le Lay et Hinard sortent en 1971, chez Magnard, un Précis de grammaire française, qui "s'adresse non seulement aux élèves du cycle d'observation et des clas-ses de lettres, mais aussi au public cultivé" (Préface) ; livre riche et essen-tiel à mes yeux. Pourtant la question des niveuax de langue n'est pas traitée comme telle ; juste cet exemple dans Synonymes, à la fin de l'ouvrage : "Ainsi les synonymes de gifle : soufflet est littéraire, gifle courant, claque familier, taloche populaire, beigne argotique". Distinction simple et claire, mais c'est tout. Le Bescherelle , édition 2007 pour le Collège, chez Hatier, consacre,lui, quatre pages appréciables aux niveaux de langue "(parfois ap-pelés registres de langue)", "manière, dit-il, de s'exprimer plus ou moins recherchée à l'oral ou à l'écrit". Il distingue ensuite, en fonction "des interlo-cuteurs et du contexte", les niveaux "courant, familier, soutenu". Minimal peut-être, mais net et opérationnel.

             Au total, les manuels considèrent comme secondaires la question des niveaux de langue, ne disant même pas clairement qu'il s'agit d'ensei-gner aux élèves, dans les cours de grammaire notamment,la langue couran-te, dite également, selon : normale, commune, standard ; consigne pourtant essentielle pour que le professeur sache, et dise à ses élèves, où il va. Le professeur doit donc chercher ailleurs que  dans  les  textes  officiels  du Ministère de l'Education Nationale et les grammaires pour asseoir son en-seignement de la langue sur des bases précises. Sinon, il va presque au ha-sard,tolère presque n'importe quoi des élèves (voir les risques pour son au-torité, évoqués précédemment), et  flotte presque d'un  niveau  de  langue à l'autre sans cette rigueur qui est indispensable à l'enseignement. 

           En fait, ce sont surtout les dictionnaires de langue qui notent avec le plus de précisions les niveaux de langue pour le vocabulaire et les expres-sions ; ce sont peut-être même eux qui furent "les premiers utilisateurs de toute une terminologie" sur la notion de niveaux de langue, qui "ne remon-terait guère au-delà des années 50", si l'on en croit Jean-Marcel Paquette dans son article récent sur La norme linguistique (Conseil supérieur de la langue française). Paquette renvoie au Dictionnaire de linguistique de Du-bois (1973) qui dit : "la notion de niveaux de langue est donc liée à la diffé-renciation sociale en classes ou en groupes de divers types"

         Oui, les lexicographes  proposent  un  nombre  impressionnant de  ni-veaux de langue, pour le vocabulaire avant tout, qui déroute  souvent.  Voici deux exemples empruntés à des dictionnaires couramment utilisés en clas-se ou dans la vie de tous les jours.

Le Petit Robert en 2 volumes, édition de 1989, distingue 10 niveaux de langue, mis à par l'argot et le vocabulaire des métiers(commerce, documen-tation, droit ...) : courant, didactique, dialectal, familier, littéraire, poétique, populaire, vieilli, vulgaire, vieux (ordre alphabétique). 

Le Petit Larousse en couleurs, édition  de  1972, limitait davantage ces ni-veaux. 8 : dialectal, familier, peu usité, populaire, vulgaire, vieux (ordre al-phabétique également).

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26 décembre 2013 4 26 /12 /décembre /2013 11:11

SAM 6332                                                          Ainsi que je l'ai annoncé en avril 2010, à propos du problème de l'autorité du professeur prise en défaut, j'examinerai ici la question des  "niveaux de langue"  dans l'enseignement, en Collège d'abord, là où j'ai surtout exercé. Il s'agit à la fois de la langue qu'utilise le professeur et de la langue qu'il est censé enseigner ; les deux ac-tes étant bien sûr liés. Utiliser avec clarté et constance la langue française "correcte" (terme à préciser ci-dessous) en classe, puis l'enseigner et l'exiger des élèves (dans les limites que j'exami-nerai plus tard) est autant un problème de pédagogie (le profes-seur de français est là pour cela) que d'autorité. Autorité, parce que tout laisser-aller dans le langage du professeur (tenté par la démagogie ou le jeunisme par exemple) rabaisse peu à peu son image aux yeux des collégiens (même s'il a cru d'abord se rappro-cher d'eux et gagner leur sympathie), qui se croient alors autori-sés à parler familièrement au mieux, ou comme  dans  la  cour  tout simplement. Dès lors, le désordre, l'effronterie et même la grossi-éreté menacent, que le professeur ne contrôlera plus vraiment, surtout s'il a lâché par faiblesse ou peur dans d'autres domaines de la vie en classe. Non : il faut, à partir des Instructions officielles, savoir clairement quelle langue française on se propose d'ensei-gner, s'y tenir, être exigeant, ferme tout en étant ouvert - explica-tions à l'appui - aux autres niveaux de la langue, justement, que le correct-courant. Il reste à en parler donc. De toute façon, le délitement de la langue, le laisser-aller contribuent fortement, comme le dit A.Finkiel-kraut dans L'identité malheureuse, au "délitement de l'enseignement". 

                       Examinons d'abord la question des Instructions offi-cielles en la matière. Autant dans ma formation (rappel utile, je crois : 7 ans à l'Université, dont une hypokhâgne et une année CPR - Centre Pédagogique Régional - consacrée à la préparation de l'Agrégation, le tout à Toulouse) que dans les manuels et les Instructions et Consignes, j'ai peu ou pas été informé, formé sur les niveaux ou registres de langue. Aucun cours n'en parla ; les profes-seurs parlaient, disons, un langue courante, plus ou moins soute-nue ou familière selon l'âge ou le tempérament du professeur. Dans le Conseil National des Programmes (Luc Ferry, rentrée 2001), on cherche vainement une information ;  juste, dans   les  Objectifs généraux du français : "(...) les élèves (...) étudient les niveaux de langue (familier, correct, recherché) appropriés aux différentes situations". C'est fort peu ! 

                       Et les manuels de français, textes ou grammaires proprement  dites, sont  aussi chiches ( adjectif  qualifié,  juste-ment, de vieilli par le Robert ; l'averbe, lui, étant qualifié de familier avec  une  connotation de  moquerie -  d'où  mon choix  ici )   ou flous. Pratiquement, tous donnent ce minimum de trois niveaux de langue hiérarchisés, liés, par eux, le plus souvent, à la classe so-ciale de l'utilisateur, à la situation d'énonciation ( contexte de l'é-change, nature du locuteur - celui qui parle - et du destinataire) et à l'intention, à la recherche d'effets ... de  celui  qui  parle  ou  é-crit. Je ne donnerai que quelques exemples empruntés à des ma-nuels utilisés en classe avec les collégiens. 

             Pour commencer, donnons cette observation du Précis de grammaire historique de la langue française (1964) de F.Brunot et Ch.Bruneau, très prisé à l'Université dans les années 60. Dans "Le vocabulaire commun", on lit : "Du point de vue du vocabulaire, il n'existe pas une langue française, mais plusieurs. La langue commu-ne comprend la langue écrite, avec sa forme supérieure, la langue littéraire, et sa forme inférieure(la langue des journaux, par exem-ple), - et la langue de la conversation (langue parlée). A côté de cette langue commune, il existe, au point de vue des choses, des langues techniques ; au point de vue social, des bas-langages, parmi lesquels se classent, hors de Paris, les français dialectaux, les dia-lectes et le patois." (italiques des auteurs). Rien de plus, et rien sur les niveaux de langues comme tels. Position claire mais figée, sinon vieillie, qui aide peu à l'enseignement du français en classe.   

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13 août 2013 2 13 /08 /août /2013 10:32

                                            Je finis SAM 5688-copie-2l'examen de ces quelques ouvrages sur l'enseignement, l'éducation, la pédagogie, par celui, annoncé d' Augustin d'Hu-mières, publié en 2009 : Homère et Shakespeare en banlieue.

                   C'est un tableau énergique et intéressant de l'expérience d'un professeur de lettres classi-ques, en particulier dans un gros lycée de la ban-lieue parisienne - 1500 élèves. Un professeur un peu atypique, qui ose affronter l'administration (le chef d'établissement est dit "Grand rabatteur") et les col-lègues (notamment les syndiqués, "les hiérarques syndicaux" dit-il avec un certain mépris), pour faire ce qu'il croit devoir faire avec les élèves ; ce qui, je l'avoue, nécessite un certain courage déjà. Il se bat avec panache, et défend brillamment les options latin-grec, avec une force et des arguments qui me convainquent, et où je reconnais un peu mes propres combats en la matière. Bravo aussi à son courage pour affronter la démagogie des chefs d'établissements, qui "élisent domicile en salle des professeurs" et excusent vite tout désordre (de peur des retombées sur la renommée de la maison) : " le Grand Rabatteur avait rétorqué : C'est qu'ils sont grands nos élèves, ils n'ont qu'à lever les mains pour toucher le pla-fond, je ne peux tout de même pas les empêcher de pousser !". Courage é-galement quand il dénonce, avec un humour corrosif parfois, les violences scolaires, les cours devenus difficiles ou impossibles ("Les cours de lettres ressemblent de plus en plus à des heures de garderie") ; et le laxisme des professeurs, en conseils de classe, face aux élèves et aux parents, pour le passage en classe supérieure : "Nouvel argument de passage : le soupçon de diarrhée". Il est difficile enfin de ne pas rendre hommage à l'Association "Métis", qu'il présida, pour la promotion du latin, du grec et du théâtre dans un centre social proche du lycée. Je salue, pour en finir avec les compli-ments mérités, son admiration, que je partage, pour la célèbre helléniste et Académicienne, J.de Romilly, "la vieille dame aux yeux bleus".  Au total, un récit vivant et dynamique, utile, que ne désavoue pas,  je le crois fort, Alain Finkielkraut.                                                                                                         Toutefois, le livre, l'auteur provoquent souvent un certain agacement, qui nuit à sa portée. Voici mes réserves. On ressent plusieurs fois plus le souci de se faire valoir que celui de témoigner avec vérité. Son "étiquette de bour-geois du Quartier latin égaré dans les banlieues", il la revendique en fait fa-ce à des collègues qu'il regarde de bien haut. "Je me notabilisais dangereu-sement", note-t-il pour la réussite de son opération "Métis". Il est conscient, sans doute, du malaise qu'il crée parfois au sein d'une communauté scolai-re : sentiment affiché d'une certaine supériorité, au moins d'une différence absolue, qu'il cultive  - "Mais,Bibi, j'habite Paris, mon père a fait l'ENA, j'ai fait mes études à Henri IV ...", répond-t-il à une collègue qui veut le situer à gauche - . Cependant l'attitude hautaine, face aux adultes, reste ; et le ton de son récit, son indépendance à tout prix sentent un peu trop la particule, si j'ose dire : c'est dommage. De même, dans son hommage appuyé, et un peu lourd en fait, à J.de Romilly, transparaît, finalement, un gros narcicis-me.   Oui, Monsieur d'Humières parle un peu trop de lui et semble avoir agi, trop souvent, par souci de paraître avant tout, comme le soulignent  d'ail-leurs les titres accrocheurs de plusieurs chapitres de son livre : "Marchand de gri-gri", "Le d'Humières Tour", "Errol Flynn" ...

                          Réserves personnelles, bien sûr, qui ne sauraient faire oublier sa belle réussite, son abnégation, comme professeur de lettres classiques dans des classes difficiles, avec de grands élèves. 

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11 août 2013 7 11 /08 /août /2013 11:03

SAM 5688                                         Je reprends aujourd'hui, à la suite du 9 juin de cette année, l'examen annoncé de quelques livres sur l'éducation. Je parlerai ici des publications, de 1954 à 1968, d' Hannah Arendt, regroupées sous le titre : La crise de l'éducation ; et parues en 1972 pour la traduction française. Je n'évoquerai que les chapitres suivants : La tradition et l'âge moderne, Qu'est-ce que l'autorité ?, Qu'est-ce que la liber-té ?, La crise de l'éducation, La crise de la culture ; car j'ai lu cet écrit célèbre d'H. Arendt  en prêtant une attention particulière aux chapitres qui pouvaient éclairer, étayer ma propre expérien-ce de professeur de Collège pendant trois décennies; et je l'ai lu assez tar-divement,l'ayant surtout découvert dans l'émission "Répliques" d'Alain Fin-kielkraut, qui se réfère à Arendt fréquemment et depuis longtemps. 

                                         Hannah Arendt traite des problèmes d'autorité, liberté, éducation, culture avec un grand souci de rigueur historique et "phi-losophique", capable de mettre hors du temps et des modes les analyses qu'elle propose . D'où l'immense intérêt de son étude, qu'il est difficile de ne pas juger remarquable et désormais indispensable ; surtout, je crois, pour son analyse du concept d'autorité et de la crise qu'elle décrit. 

                                      Pour ce qui est de la perte de l'autorité, telle au moins que la concevaient les Grecs puis les Romains, dans la cité, dans l'état et dans la formation des jeunes (l'éducation, quoi) - et des conséquences dans le monde d'aujourd'hui - , H. Arendt convainc totalement selon moi. Surtout quand elle lie cette perte, aux USA d'abord, à la perte de pou-voir des enseignants, très mal formés et soumis à la tyrannie de : l'enfant a toujours raison, nous sommes à son seul service, nous devons, comme maîtres, nous soumettre à ses desiderata et aux demandes du groupe dans la classe.  Je partage d'autant plus cette analyse que j'ai vécu moi-même ces pressions catastrophiques, et que je les ai combattues pendant des an-nées. H. Arendt a le courage de revendiquer, pour l'éducation, une attitude traditionnelle, attachée à l'indispensable et forte autorité du professeur ; au-torité qui naît d'abord de la solidité de son savoir et de la confiance qu'il manifeste lui-même pour les connaissances transmises par les générations successives depuis l'Antiquité.  

                                H. Arendt différencie parfaitement la compétence faite de savoirs et connaissances de cette transmission de savoir-faire  pragmati-ques où règnent l'animation (le professeur animateur), sinon les activités de loisirs.  Distinction oh combien !  toujours  d'actualité  dans  les  établisse-ments scolaires.  Sa vision aussi de la société de consommation est claire et prémonitoire : la consommation des biens culturels n'est pas culture, elle détruit même la culture. Je suis moins d'accord, toutefois, avec son pessi-misme total ici, quand elle écrit,  dans  le  chapitre  La  crise de la culture  : "Croire qu'une telle société deviendra plus "cultivée" avec le  temps  et  le travail de l'éducation est, je crois, une erreur fatale."  

                              Quel magnifique éloge de la beauté aussi, dans le même chapitre : " La grandeur passagère de la parole et de l'acte peut durer en ce monde dans la mesure où la beauté lui est accordée. Sans la beauté, c'est à dire sans la gloire radieuse par laquelle une immortalité potentielle est ren-due manifeste dans le monde humain, toute vie d'homme serait futile,et nul-le grandeur durable." Enthousiasme tout platonicien ! qui culmine dans sa lumineuse interprétation du mythe ou parabole de la caverne, dans le cha-pitre sur l'autorité, comme fondement de la théorie politique dans La Répu-blique.  Et encore, dans ce chapitre sur la culture, une belle approche du goût, chez "le spectateur qui juge" : " Faute d'un meilleur mot pour dési-gner les éléments composants d'un amour actif de la beauté, qui permettent de discréminer, de distinguer, de juger - ce philokalein met'euteleias dont parle Périclès - j'ai utilisé le mot "goût" (...) le phénomène du goût, compris comme une relation active au beau." Le chapitre se conclut par un acte de foi en Platon et en l'humanisme qui en suivit : " "Alors nous saurons répon- dre à ceux qui si souvent nous disent que Platon ou  quelque  autre grand écrivain du passé est dépassé ; (...) Platon peut pourtant être de meilleure compagnie que ses critiques. En toute occasion, nous devons nous souve-nir de ce que, pour  les  Romains (...) une  personne  cultivée  devait  être : quelqu'un qui sait choisir ses compagnons parmi les hommes, les choses, les pensées, dans le présent comme dans le passé." Bravo Hannah Arendt !

                                              Je finirai ce court examen par une réserve. A-rendt me paraît vraiment exagérer quand elle subordonne, dans Qu'est-ce que l'autorité, toute la philosophie platonicienne - du beau, du bien - à sa théorie politique de La République. Elle me semble négliger, sinon compter pour peu l'inégalée maïeutique socratique, le génie et la poésie des concep-tions de l'amour, de la vertu ..., tels que les expriment, notamment, Le Ban-quet, Le Phédon, Le Phèdre. C'est pour cela aussi ou d'abord que Platon a écrit ses Dialogues ; et qu'il est merveilleux et ne saurait être "dépassé".

 

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