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16 juin 2013 7 16 /06 /juin /2013 10:52

SAM 5660-copie-1    SAM 5662                                                                        Après donc une quarantaine d'années d'enseignement en collège, mes choix pour l'éco-le, mes positions sur l'enseignement étaient en place dans mon esprit, dans ma pratique du métier, et ils ne changèrent pas pour l'essentiel, dès les années 80.

                                      En premier lieu, je tiens à dénoncer ce slogan, impérieux et répété à l'envi dans les années 80, au moins, mettant en accusation ou culpabilisant le professeur : Mettre l'élève au centre de l'école, de l'enseignement. Slogan ridicule d'abord, car dans le fonctionne-ment d'un lieu d'enseignement, il n'y a pas de centre, il y a une collabora-tion, aussi positive que possible, entre élèves, enseignants, parents, admi-nistration, inspecteurs et ministère. En fait, cet élève au centre est une faç-on néfaste de considérer que l'élève a toujours raison, dans ses demandes et désirs, que le cours doit se faire selon ses envies (sinon caprices) ; et que le savoir ne va plus du maître vers l'élève, mais qu'il naîtrait, comme miraculeusement, de l'élève lui-même, sorte de génie par essence auquel tout doit être soumis. Si encore il s'agissait d'être un accoucheur, comme Socrate ..., mais pas du tout, l'élève ici commande au maître !  Cette con-ception a fait des dégâts, je l'ai constaté moi-même chez des collègues cédant à cette consigne abondammnent répétée dans les textes officiels. Je n'ai pour ma part jamais été influencé par cette consigne : il n'y a pas de centre dans la relation pédagogique, mais il y a un maître, à tous les sens du terme ; voilà ce que je crois fermement.

                                   Puis il fallut bien se situer par rapport à la  massifica-tion  de l'école des années 70-80, autant en collège qu'à l'Université, puis-qu'elle forçait à revoir les contenus, les méthodes et les finalités de l'ensei-gnement, face à cette nouvelle arrivée, en masse, de jeunes de milieux et de niveaux si différents. Au principe même j'adhérai spontanément, car la volonté démocratique était noble et positive. Mais immédiatement j'admet-tais trois nécessités : une sélection, la distinction entre égalité et égalitarisme et surtout des exigences rigoureuses. 

                                    La sélection par le travail, l'effort et le mérite est sen-sée et nécessaire. Une "élite" (le mot a quelque chose d'inquiétant cepen-dant) devra être ainsi dégagée ; mais pour qu'elle soit légitime, juste, bien acceptée, la sélection par l'orientation notamment, ne doit pas intervenir trop tôt, sinon on écarte toujours les mêmes, à peu près : les enfants issus des familles modestes ou pauvres. Il faut donc donner des chances égales à tous, assez longtemps, sinon les Camus, les Louis Guilloux, les George Orwell ne surgiraient jamais. En collège, pas d'orientation déterminante a-vant la fin de la 5e ; orientation positive, et non forcée par l'échec comme trop souvent, à condition qu'on ait pu avant fournir une formation différen-ciée (groupes, niveaux), la solution idéologique du "collège unique" me pa-raissant néfaste. En lycée, une orientation-sélection positive me semble né-cessaire à la fin de la 1ère, bien avant la bien risquée (trop souvent) Univer-sité. De toute façon, si la sélection aboutit à une élite qui se reproduit sans fin dans les familles aisées ou dirigeantes, effectivement il n'y a plus d'éco-le républicaine, plus d'apports nouveaux dans la société. L'intelligence, comme je l'ai écrit antérieurement, n'est pas la propriété des familles ai-sées, des tenants du pouvoir qui feraient une école pour eux d'abord. 

                                  Pour autant, je dénonce cette idéologie de l'égalitaris-me qui s'oppose à une égalité des chances inévitablement corrigée par les capacités de chacun à l'effort et à la persévérance, à la volonté d'apprendre et de s'élever par le savoir. 

                                 Avant de nommer les exigences auxquelles je tiens, je dirai deux mots de la formation des maîtres. Elle doit être, selon moi, universitaire, de haut niveau pour les connaissances. Mais elle doit aussi proposer une formation sur la psychologie de l'enfant (l'adolescent en parti-culier), qui fait défaut aujourd'hui, et sur la gestion d'une classe. Il y va de l'autorité du maître dans sa classe, sans laquelle rien ne va ; je la crois d'a-bord innée (j'ai vu des professeurs que leur caractère prédisposait au man-que d'autorité), mais on peut la susciter, l'aider. Ainsi, on peut apprendre au futur maître comment il doit gérer son espace prof-bureau, réservé, par rap-port aux élèves, dans lequel en fait ils ne doivent pas entrer. On doit aussi leur parler du tutoiement risqué du professeur par les élèves, auquel je suis pour ma part opposé. Concours de recrutement élevés donc, la bellle Agré-gation n'étant pas d'ailleurs une garantie indispensable. Il y a quantité de bons profs non agrégés, et des agrégés qui n'ont cherché qu'une promo-tion financière (à laquelle s'ajoute un service ramené à 15 heures par semai-ne, contre 18 aux certifiés actuellement, ce qui me paraît excessif ; mais c'est une autre débat) très souvent étrangère à un souci de mieux ensei-gner, d'autant que nombre d'agrégés se croient ainsi intouchables, même quand ils ont carrément tort ... Quant à l'inspection, nécessaire, il serait grand temps qu'elle soit de soutien et de conseils pratiques, et pas simple-ment un relai désespérant des consignes ministérielles changeantes ... Autre débat également.  

                               Mais surtout enseigner suppose que l'on soit fermement attaché à des exigences rigoureuses. Il faut d'abord enseigner rigoureu-sement la langue, sans concession aux modes ni aux laxismes nourris par les médias. Enseigner la grammaire, par des cours magistraux même et des dictées (je n'ai jamais lâché sur ce sujet, même quand cela me mettait en conflit avec un inspecteur, dans les années 70-80). Ensuite je crois aux ver-tus irremplaçables, pour la langue et la formation de l'esprit, pour une cultu-re générale classique, du latin et du grec, pour lesquels tous les élèves doivent avoir, dès la 5e au moins, une initiation, faite par des spécialistes de ces langues. L'histoire aussi doit rester au coeur des contenus, avec un horaire suffisant. Développer avec confiance la mémoire est également essentiel : oui, apprendre par coeur des textes, même longs, est un exerci-ce salutaire, en récitation par exemple (là aussi il m'a fallu me "battre" con-tre un inspecteur qui jugeait la récitation comme une perte de temps ...). Sans une mémoire qui peut devenir immense, si on l'entraîne, l'élève ne pourra pas, commme on dit, faire des études. Il faut transmettre, sans crain-te de commander ou fatiguer, des savoirs précis, denses, et non pas sim-ple-ment des savoir- faire dans des activités d'animation qui plaisent mais ne forment pas. Le maître est là pour former, non pour plaire, pour être "sympa" (il n'est pas là non plus pour être antipathique : c'est affaire d'équilibre, car le maître est égalemnt, à sa façon, un acteur sur la scène de la classe dont tous les gestes sont jaugés)  ... à tout prix, et la vraie autorité, naturelle, est celle du savoir. Les nouvelles technologies (ordinateur, vi-déo ...) plaisent beaucoup : il faut les utiliser, mais raisonnablement sans sombrer dans le jeunisme ni la démagogie. Le cinémala lecture de l'i-mage méritent aussi d'être enseignés, pour lutter contre le futur consom-mateur sans armes des images qui nous inondent ; mais il est difficile de dégager des heures pour tout, et souvent il faut recourir à des clubs. Au to-tal, l'autorité du maître dans sa classe est au coeur des exigences ; autorité et indépendance face aux pressions incessantes des parents, de l'administration et souvent hélas ! des inspecteurs ou des collègues même. Hannah Arendt montrait en 1960, dans La crise de l'éducation, que l'enfant affranchi de l'autorité des adultes, n'est pas pour autant, un individu sans dieu ni maître. Il est livré à l'autorité effrayante et tyrannique du grou-pe des pairs (le groupe des autres enfants). Et je pense toujours au si défi-nitif, selon moi, texte de Platon en la matière dans La république, qui a tou-jours figuré dans un grand cadre au mur de ma classe, et que je reproduis ci-dessus : "Lorque les pères s'habituent à laisser faire les enfants ...".

                                Mais le plus important, pour un professeur, est de croire fortement à ce qu'il dit et fait, de vouloir transmettre un héritage sans se laisser intimider par les modes ou les personnes. L'enthousiasme, la foi sont communicatifs, les élèves ne s'y trompent pas. Il faut vouloir transmet-tre la joie, le bonheur d'apprendre, et montrer sans crainte cette joie, cette liberté qui naissent du savoir. Mme de Romilly a largement consolidé cette opinion en moi. Et Alain Finkielkraut la défend bien à sa manière, à la fin de La querelle de l'école : " Etre enseigné n'est pas seulement un moyen, c'est une ouverture, c'est le bonheur d'un devenir autre, c'est, comme le rappelle l'étymologie du mot école, la forme suprême du loisir".

                              C'est par cette exigence du bonheur d'apprendre et d'enseigner (que j'ai presque toujours vécu moi-même, les élèves, malgré la fatigue, les déceptions inévitables, les combats pour la discipline ... ayant toujours été mon ultime consolation, et restant aujourd'hui les seules per-sonnes que je regrette encore - c'est pour eux d'abord, donc, que j'ai com-mencé ce blog) que je veux terminer cet exposé (certes un peu long, mais bien court pour être suffisamment clair et complet) sur mes positions, mes choix pour l'enseignement. Ce disant, je ne me cache pas les difficultés pour un professeur aujourd'hui qui veut cette exigence, surtout s'il enseigne dans un établissemnt difficile et s'il est confronté à la violence. J'aurai d'ailleurs l'occasion d'en parler mieux à propos du livre annoncé d'Augustin d'Hu-mières : Homère et Shakespeare en banlieue.

                                                                    A       BIENTÔT                                                

 

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9 juin 2013 7 09 /06 /juin /2013 10:12

SAM 5584                                                        Le philosophe, professeur et journa-liste Alain Finkielkraut a souvent traité de l'école dans ses écrits, directe-ment ou indirectement, et plus souvent encore dans son émission "Répliques" sur France Culture chaque samedi matin. C'est par France Culture, d'ail-leurs, où je l'écoute régulièrement, que je l'ai surtout connu. La querelle de l'école, publié en 2007, retranscrit neuf de ces émissions, diffusées de 1990 à 2007, avec seize interlocuteurs. CSAM 5586e sont en général des spécialistes, du juriste Guy Carcassonne à l'économiste Jean-Claude Casanova, en passant par le sociologue François Dubet et le chercheur au CNRS Dominique Pas-quier ; tous autres étant des ensei-gnants du supérieur, à l'exception de deux : Marc Le Bris, instituteur et directeur d'école ; et Catherine Henri, professeur de français  dans un lycée parisien. Nous avons donc affaire à des personnes fort informées de la question traitée ; parfois même de si haut que le débat oublie les préoccupations et solutions du terrain pour des considérations abstraites ou trop personnelles. Natacha Polony, par exem-ple, cède à son goût des opinions et des tribunes télévisées, bien loin des analyses attendues ; Luc Ferry, ex-ministre de l'Education, malgré la clarté de ses positions sur les maux dont souffre l'école, perd son temps à se justifier face aux syndicats d'enseignants. Encore une fois, ces échanges pèchent par leur manque d'expériences et solutions concrètes. Heureuse-ment, Finkielkraut est toujours là pour les rappels à l'ordre, avec une fidélité remarquable à son propre diagnostic, à ses propres remèdes aux maux pointés du doigt.

                                           Avec constance et clarté, en effet, Alain Finkiel-kraut ramène toujours la discussion à quelques analyses et positions clés, avec lesquelles je suis le plus souvent  en accord.  Il défend, contre tout renoncement, la nécessité d'un culture générale classique, l'"héritage", dénonçant à cette occasion le réquisitoire de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les héritiers, les étudiants et la culture , paru en 1964, les illusions égalitaristes et politiques de Mai 68 n'ayant aucune grâce à ses yeux. Dès lors, la défense de la langue française, sans conces-sion aux modes (rap, internet, textos ...), est une priorité, contre ce qu'il appelle "l'ensauvagement de la langue". La perte des exigences est ensui-te accusée : exigences en matière de discipline (tous ses interlocuteurs conviennent d'un terrible dégradation de l'autorité dans l'école, au profit des violences et de l'écoute démagogique des élèves), d'autorité du maî-tre (qui renonce trop souvent ou n'est pas appuyé par sa hiérarchie), de sélection d'une élite par l'effort et le mérite, de qualité des contenus (contre les activités d'animation et le nivellement par le bas pour être com-pris de tous), d' indépenance des enseignants face aux pressions des parents d'élèves et des groupes politiques ou syndicaux.  

                          Tout cela séduit par la qualité de l'ambition pour l'école, et j'adhère à l'essentiel de ces positions. Toutefois, Finkielkraut est selon moi excessivement alarmiste, sans mesurer suffisamment les problèmes liés à la massification issue des années 60  et les progrès malgré tout réalisés (ainsi contre l'analphabétisme et pour l'accès aux études supérieures des enfants issues des familles modestes ou pauvres), comme le lui fait remar-quer, entre autres, le sociologue François Dubet. Finkielkraut me paraît donc  par trop pessimiste, par trop "élitiste" aussi. Sans doute la "barbarie" menace, ainsi qu'il le dit, mais il est partisan d'une sélection en collège se-lon moi trop précoce : sélectionner par l'échec dès 13 ou 14 ans par exem-ple n'aboutit le plus souvent qu'à mettre de côté les enfants défavorisés par la naissance et le milieu. Il faut laisser à tous davantage de temps et de chances ; mais d'accord pour ensuite mieux sélectionnet et orienter avant la fin du lycée. Au fond, Finkielkraut finit par concevoir une élite abusive ou fausse, socialement prédéterminée, malgré sa bonne foi et sa demande d'une élite légitime. François Dubet définit parfaitement, je crois, cette juste sélection : " Le système étant sélectif, je considère que les modes de sélec-tion seront d'autant plus acceptables, d'autant plus justes, d'autant plus ef-ficaces et permettront aux élites d'occuper des positions légitimes, si ce système a la capacité d'offrir à tous les élèves, c'est à dire y compris aux plus faibles d'entre eux, un minimum de connaissances, de savoirs, de com-pétences, de culture générale qui leur permettra d'être des citoyens occu-pant honorablement leur place dans la société".  Hélène Merlin-Kajman, pro-fesseur de littérature française à la Sorbonne, enfonce le clou en la ma-tière : " On est en train de former des élites aussi incultes et brutales que les autres acteurs sociaux".

                                       Au total dnc, en dépit de la réserve que je viens de formuler, je partage les exigences pour l'école d'Alain Finkielkraut. Et mon expérience de professeur de collège pendant 37 ans m' a conduit le plus souvent aux choix, aux convictions de Finkielkraut, comme à ceux et celles de Mme de Romilly.

                                       Quant au livre de Jean-Marie Schaeffer, paru en 2011, Petite écologie des études littéraires, il me paraît apporter peu au débat sur l'école et aux remèdes attendus. Déjà, reçu sur France-Culture en mars 2011, il affirmait qu'il faut aller au-devant des désirs, des attentes des élèves (cette position démagogique qui consiste à satisfaire avant tout les élèves, à faire et dire ce qu'ils demandent ..., estimant que le savoir naîtra d'eux d'abord et non du maître ...) ; ce sur quoi je ne suis pas d'accord, sans prétendre pour autant, bien sûr, qu'il ne faille pas écouter les élèves. Son livre, lui, est surtout celui d'un chercheur du CNRS, amateur de statis-tiques et de raisonnements bavards sinon jargonants, qui contournent la réalité de l'école. Il écrit par exemple : " La poésie manifeste de manière particulièrement claire cette transformation de l'économie de traitement des informations, puisqu'elle focalise l'attention sur des propriétés qui n'ont, en dehors de son champ, qu'un lien purement conventionnel avec le "conte-nu". La même logique est d'ailleurs inhérente à l'ensemble du champ que Gérard Genette  appelle la "diction" : le surinvestissement "formel" est le mode opératoire proprement esthétique de tout texte non fictionnel (même si la lecture d'un texte de fiction mobilise bien entendu elle ausi, outre la composante mimétique, sa composante "dictionnelle")". Il semble que Dia-foirus ne soit pas loin dans ce traité de technicien avant tout. Dommage. De plus, J.M.Schaeffer pratique un optimisme de mode sur les progrès de la modernité et contre le pessimisme actuel ("les déplorateurs et autres décli-nologues" dit-il) : "Bref, ce n'est que si l'on identifie la culture littéraire avec sa délimitation ségrégationniste que l'on peut parler de crise de la littéra-ture". Dommage, donc, selon moi, car quelques idées fortes (sur la lecture par exemple) sont gâchées par le souci d'afficher sa langue de spécialiste-chercheur ; et par le seul souci du philosophe structuralisant de s'interro-ger, avec moult citations et références savantes, sur les fondements des sciences humaines et des études littéraires - de façon abstraite et générale le plus souvent. 

                           Mais tous les écrits sur l'école sont riches d'enseignements. Ceux de Philippe Meirieu, de Hamon-Rotman (Tant qu'il y aura des profs, 1984), de Baudelot-Establet (Le niveau monte, 1989), et de tant d'autres que je n'ai pas lus. Ph. Meirieu, que j'ai peu lu, a eu une grande influence dans les années 90, où il fut, entre autres, collaborateur du ministre de l'Educa-tion Claude Allègre. Sa défense de l'hétégénéité des classes et de l' autono-mie des élèves a de bons aspects, mais elle sombre vite dans une démago-gie au service de l'élève héritée de Freinet. Cependant, l'écoutant sur Fran-ce Culture le 12 mai 2013, j'approuvai son affirmation d'une recherche de l'excellence dans toutes les formations et métiers, du polytechnicien au boulanger. De même, j'approuvai alors, à condition que l'on s'en donne les moyens, sa demande de "classes républicaines mélangées" , où on ne choisit pas avec qui on est, par opposition aux écoles communautaires ou privées/payantes, comme aux USA par exemple. Enfin, sa position toléran-te, non "manichéenne", disait-il, sur le sujet public-privé eut aussi mon ap-pobation.                                                                                                              Hervé Hamon et Patick Rotman produisirent une bonne enquête de journa-listes en 1984 ; un bon état des lieux médiatisé surtout par la télévision. Même tableau concret et utile, en 1989, chez les deux professeurs d'Univer-sité, Christian Baudelot et Roger Establet, mais leur optimisme envers et contre tout pèche par son systématisme et le goût du paradoxe, malgré leur bonne volonté face à la massification mise en oeuvre dans l'Education Na-tionale, du Collège à l'Université.  

                              Ces lectures ont éclairé, bien sûr, mes vues et affermi mes positions, mais sans les changer vraiment, car elles étaient établies depuis longtemps, après, disons, une dizaine d'années d'enseignement en collège . Je me propose une prochaine fois de les résumer en quelques mots. 

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8 juin 2013 6 08 /06 /juin /2013 11:29

SAM_5663.JPG                                                      Je connais et ai lu J.de Romilly depuis les années 70, l'ayant découverte en lisant Thucydide. J'ai toujours eu une profon-de admiration pour la citoyenne grec-que (elle obtint cette citoyenne-té) défendant avec tant de conviction et d'élégance la culture greco-latine classi-que. L'écouter, la voir fut pour moi aus-si un vif plaisir, que je fis partager sou-vent à mes élèves de latin-grec : à la Bibliothèque Médicis en mars 2007 avec Mme Desroches-Noblecourt ; et surtout dans un entretien sur France 5 de janvier 2008, où, dans une éclatante robe bleu azur, elle s'expliquait sur son choix du grec ("C'est l'émerveillement que m'ont donné ces textes"). . Je la voyais et la vois encore comme une pythie révélant la vérité et l'avenir. Je suis d'accord à peu près sur toutes ses analyses, notamment celles ayant trait au rôle essentiel du latin et du grec dans la formation de l'esprit. Sur-tout, ainsi que je l'ai dit précédemment, j'adhère pleinement à sa pédagogie du détour : il faut aller chercher, par des chemins indirects, dans l'étude des langues anciennes, de l'histoire, de la philosophie les bases fondamen-tales et intemporelles qui préparent l'esprit ensuite à toutes les formations, à toutes les carrières. Ne pas aller directement aux formations techniques d'un métier, faire ce détour indispensable qui n'est pas perte mais gain de temps, car il est un socle universel ouvert sur tout. Sur ce sujet, et sur celui des exigences du savoir, de l'effort, de la sélection juste, elle est en fait d'accord, dans L'enseignement en détresse, avec Alain Finkielkraut.

                                         Toutefois, son livre de 1984 me paraît trop marqué par sa prévention contre le gouvernement socialiste qui venait de s'instal-ler ; d'accord avec sa dénonciation de l'excès de politisation et d'égalitaris-me idéologique, mais elle parle peu ou pas d'égalité des chances et son ex-périence du terrain semble limitée (elle ne parle jamais des collèges, où elle n'a pas enseigné, qui sont pourtant au coeur des problèmes de l'école) aux lycées et surtout au cycle supérieur. Elle célèbre justement l'Agrégation, mais oublie qu'il y a quantité de professeurs de Lettres Classiques qui ne sont pas agrégés (pour diverses raisons, de situation sociale, de santé ou de malchance tout simplement ...) et n'en sont pas moins de bons ensei-gnants. Je la rencontrai à la Foire du Livre de Brive de 1989, où elle me dé-dicaça La grèce antique à la découverte de la liberté ; et elle me crut à peine quand je lui dis que j'enseignais le grec en collège.                                                     

                                   Malgré ses préventions, que je qualifierais d'un peu trop élitistes chez cette Parisienne des beaux quartiers (et, ce disant, je n'oublie pas, vraiment, ce qu'elle  souffrit de l'antisémitisme pétainiste), mais préventions formulées par elle sans agressivité ni prétention indue, je reste ébloui par sa superbe foi dans la transmission du Beau, de l'héritage gréco-latin ; et par son amour du métier de professeur : "J'ai été un profes-seur heureux et je connais encore quantité de professeurs heureux", écrit-elle. Sa langue, toujours simple et belle, sans verbiage, propose quelques remèdes forts au désastre de l'école qu'elle craint : " Les enfants (...) Par respect pour leur avenir, il faudrait rétablir la discipline. Par respect pour leur avenir, il faudrait leur apporter ce qu'ils ne peuvent ni inventer ni dési-rer apprendre, mais sans quoi ils ne pourront rien  : les dates, la grammai-re, les mots abstraits, les idées, les oeuvres du passé. Il faut même les obli-ger à apprendre par coeur : heureux enfants, ils peuvent encore le faire !". Bravo ! Madame de Romilly. Votre âme de philosophe a rejoint le monde des Idées platonicien ; elle est à la fois là-haut et parmi nous, étin-celante, à tout jamais. 

                                                                
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11 mai 2013 6 11 /05 /mai /2013 11:14

Picasa1                                             Je reprends aujourd'hui, toujours bien tardivement encore, mon dessein d'examiner quelques ouvrages lus par moi sur les possibilités, les difficultés d'enseigner aujourd'hui les lettres, la littérature - et en particulier le latin et le grec ancien - , dans l'immense production existante depuis longtemps sur ces sujets. Examen que je ferai toujours au regard de ma propre expérience avec des élèves pendant trente sept ans environ ; avec aussi, c'est clair, les limites  imposées par mes lectures, fort partielles, dans ce domaine précis. Mais bien des écrits se répètent en la matière et ne font pas mieux, au XXIe siècle, que Platon parlant d'éducation, d'enseignement, de savoir, d'autorité. 

                                                                           Je parlerai surtout des livres suivants : L'enseignement en détresse (1984) de J. de Romilly, La querelle de l'école (2007) sous la direction d'Alain Finkielkraut, Petite écologie des études littéraires (2011) de Jean-Marie Schaeffer, Homère et Shakespeare  en banlieue (2009) d'Augustin d'Humières, La crise de la culture (1954 à 1968) d'Hannah Arendt ; pas forcément dans cet ordre. Il m'arrivera de parler également de deux livres qui ont nourri un temps ma réflexion : Tant qu'il y aura des profs (1984) d'Hervé Hamon et Patrick Rotman, Le niveau monte (1989) de Christian Baudelot et Roger Establet.  Romans et films, bien sûr, ont aussi traité souvent de ces difficultés, de la difficulté générale du rapport enseigné-enseignant ; Entre les murs de François Bégaudeau, paru en 2006, en est peut-être un des exemples les plus connus, sinon les plus "médiatisés".

                                          Et avant toute chose, je précise, si besoin, que je n'utiliserai ces livres, toujours écrits par des personnes de talent et bonne volonté, ayant eu des formations ou carrières reconnues, qu'avec prudence et respect ; mon but étant surtout d'éclairer, par des rapprochements, des approbations ou des désapprobations légitimes, les problèmes que j'ai rencontrés dans mon travail de professeur de Lettres Classiques et les choix personnels que je crois justes et utiles. Je sais à peu près ce que je sais et tout ce que je ne sais pas ; je sais quelles furent mes études, et ce à quoi aussi elles ne purent aboutir. Pour tout dire, ainsi que je le mentionne dans le profil de la première publication de mon  mon blog, je suis professeur certifié agrégatif de Lettres Classiques. C'est tout, oui, mais c'est assez, je le crois,  quand on a la volonté, sinon le besoin, de réfléchir à son métier, à son expérience, et aux raisons qui vous les ont fait aimer et vous ont conduit à en parler aux autres. Tant l'ont fait, tant le font que je n'avais pas à craindre, commençant ce blog, de m'ajouter à cette longue liste de chroniqueurs ... souvent anonymes ( les poètes les moins connus ou inconnus, dans un registre autre mais significatif, ne sont pas les pires) , qui ont de la sorte, comme beaucoup, lancé, honnêtement et avec conviction en général, une bouteille à la mer. Mer de la toile, mer d'étoiles...

                               De toute façon, mon travail de professeur au jour le jour, mon expérience sont les seules vraies sources de mon exposé ici. J'ai lu aussi, au fur et à mesure, les livres ci-dessous nommés , mais souvent  avec des interruptions ou de forts décalages dans le calendrier , manque de temps oblige. Ces livres m'ont seulement aidé à consolider mes choix, a posteriori la plupart du temps, et c'est beaucoup. Mais il y en a tellement sur ce sujet de l'école, que je puis simplement espérer avoir fait - parfois au moins - des choix judicieux. Quant aux stages pégagogiques, assez fréquents  dans les années 70-9O si on le souhaitait, ils n'étaient presque tous qu'un bavardage (agréable et interrogateur d'ailleurs) entre collègues ou, au mieux, un exposé théorique sans rapport utile avec la réalité du terrain. Et ces stages étaient trop courts pour servir, même si je comprenais bien les problèmes (surcoût pour l'état, non remplacement des professeurs ainsi absents) qu'ils posaient.                                                                                                                             

                                     A    SUIVRE

                                           A SUIVRE

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11 novembre 2012 7 11 /11 /novembre /2012 10:36
SAM 4117SAM 4133SAM 0835SAM 4118                                                                    Bien sûr, ce que j'ai écrit hier peut paraître bien optimiste au mieux, irréaliste et fort théorisant au pire. Pourtant, c'est ce que je crois, malgré la dégradation incessante de ces enseignements (j'ai entendu récemment combien d'établissements doivent renoncer au latin - et je ne dis rien du grec ! - car trop coûteux pour trop peu de candidats), qui condamne les jeunes à ne plus pouvoir choisir ce détour irremplaçable vers ce qui est le fondement de notre langue et de notre façon de penser. Encore une fois, si on est convaincu, on trouve les heures et les moyens d'enseigner. Quant aux élèves, ils ne demandent qu'à être conduits vers plus d'exigence, plus de découvertes ; et qu'on ne dise pas que ces langues mortes, si mal désignées ainsi (il n'y a pas en fait de langues mortes, il n'y a que des langues plus ou moins en sommeil, selon les époques, la mode ...), sont trop difficiles, rebutantes : la conviction du professeur trouve les chemins pour entraîner, séduire même, et les élèves, je le dis avec force, aiment la difficulté, les obstacles, si on les prépare à cela ; ce qui est également une éducation à la vie, une éthique de l'effort trop souvent méprisée au nom de l'adaptation à tout prix aux demandes spontanées des jeunes (vite et sans effort, souffle en nous la nature humaine !), qui ouvrent la porte à la facilité, au moindre effort justement, si le professeur refuse lui-même les routes ardues et pentues, qui sont les meilleures pour avancer et monter. J'ajoute même que les jeunes, dès la 6e, la 5e ..., aiment qu'on les aide à s'interroger sur nos origines, sur l'origine de la pensée ..., et qu'ils aiment, je vais plus loin, philosopher à leur niveau. Ce que j'ai vérifié plusieurs fois en leur proposant très tôt des extraits de Platon - sur la poésie, sur la mort de Socrate, sur l'éducation ... - ou de Thucydide - sur Périclès rendant hommage à la démocratie ... -, par exemple.
                          De cela, avant tout, il faut parler avec les parents, plus réticents en fait que leurs enfants. Souvent, il fallut aider une fille, un garçon à choisir ces options malgré l'opposition (Toujours : A quoi ça sert ? Ce sera du travail en plus. C'est trop difficile et fatigant.) de papa ou de maman ! C'est ce que nous fîmes tous les ans, en juin, avant les choix définitifs. Ces réunions connurent un succès inégal, je l'avoue, mais elles servirent toujours ; et, de toute façon, il ne s'agissait pas de décider des légions, mais simplement deux groupes pour le latin 6e ou 5e, et un pour le grec 4e ou 3e (cela changea donc quand le latin 6e disparut, dans les années 80). Ce qui fut fait chaque fois ; le groupe grec, par exemple, ayant toujours eu, pendant environ trente ans, un effectif de 10 à 15, satisfaisant au vu des difficultés rencontrées.
                           Et les voyages des élèves latinistes et hellénistes sur les grands lieux de Rome et de la Grèce ? Depuis mars 1984, il y en eut dix-huit : Rome, Athènes, Paris antique, Provence gallo-romaine, Lyon. Ils connurent un immense succès, chaque voyage étant ensuite l'objet d'une exposition ; parfois d'une soirée, en présence des parents, avec projection d'un film tourné pendant le séjour, de photos, des panneaux pédagogiques réalisés avec les élèves reconstituant la préparation et l'aboutissemnt du voyage. Et, suite à des sondages faits, c'est le voyage en Grèce, pourtant le plus cher, qui était le plus demandé ! Nous fîmes tout notre possible, avec l'aide précieuse de l'administration, pour soutenir financièrement les familles, et récompenser, pour ces voyages, des élèves méritants désignés par les professeurs. Malgré tout le travail exigé, malgré la lourdeur de l'organisation, malgré la fatigue imposée par l'encadrement de ces voyages, la joie, l'enthousiasme des jeunes nous récompensaient de tout. D'autant qu'un seul voyage à Rome, dans les grands sites de son passé, valait pour un élève, en apprentissage, en compréhension de ce passé, des dizaines d'heures de cours de civilisation, à supposer qu'on pût les placer dans l'emploi du temps.
                       Bien sûr, ces voyages, leur coût pour les familles furent l'objet de débats et de critiques. Mais, au total, ils furent bien soutenus ; et il était clair qu'ils agissaient comme un attrait pour ceux qu'on invitait à choisir le grec et (ou) le latin. Rien ne remplace la réalité vue et touchée ; une image, un film, même bons, restent impalpables. Montaigne, on le sait bien, recommande le voyage "pour frotter et limer sa cervelle contre celle d'autrui" ; Saint Augustin déjà écrivait : "Le monde est un livre et ceux qui ne voyagent pas n'en lisent qu'une page". Mais, me direz-vous, il est tellement plus facile de convaincre un élève de partir en voyage (car pour l'élève, partir d'abord, s'amuser ensuite fondent son désir premier, et c'est normal) que de choisir les options latin-grec. Oui, c'est vrai ...
                           Je mentionnerai une autre fois quelques livres, ils sont très nombreux, qui disent les expériences de professeurs sur l'enseignement de ces options ; en donnant moi-même quelques avis sur ceux, moins nombreux, que j'ai lus. A bientôt.SAM 4113-copie-1  

Ci-dessus et ci-contre : photocopies de livres et documents (distribués ou affichés) utilisés pour informer sur les options grec et latin.         

SAM 0835

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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 18:16

SAM 4125o               Ce qui fut le plus difficile, durant ces années d'information et d'initiation, c'est de trouver le temps, le bon moment pour parler du grec et du latin, pour faire des exercices de découverte. Il y eut, dans les années 70-80, une heure parfois prévue dans l'emploi du temps des élèves pour cela ; et ce fut précieux et productif, sauf quand cette heure fut assurée par un professeur autre que celui de lettres de la classe (cela arriva souvent), surtout si ce professeur était lui-même peu convaincu ou même défaforable à ces options.

                       Car il faut beaucoup de conviction, d'enthousiasme pour éveiller la curiosité d'abord pour ces langues ; pour faire comprendre à l'élève qu'il va aller aux sources de sa langue, de sa civilisation, et ainsi bâtir un socle pour toutes ses études. L'approche historique fut toujours déterminante : les grands événements, les grands hommes de la Grèce Antique et de Rome sont une mine de ressources pour susciter l'intérêt : le destin de Périclès, l'aventure de Platon et Socrate, les combats des Scipion pour la République, les conquêtes de César ... par exemple permettent une entrée lumineuse dans ces civilisations ; d'autant plus que les élèves adorent faire eux-mêmes des recherches, des exposés sur ces sujets, et qu'il faut les y encourager vivement. La documentation iconographique et filmique sur Athènes et Rome est en outre aujourd'hui immense : il faut varier le menu, puis, rapidement, ne pas hésiter à faire apprendre l'alphabet grec (qui passionne les élèves) et (ou) les innombrables racines latines qui structurent notre propre langue. Très tôt aussi, quand on peut (problème toujours du temps nécessaire, et de la volonté du professeur), il faut lire des poèmes (Homère et Tibulle par exemple), des extraits de Platon (l'Apologie par exemple) ou de Sénèque (passage des Lettres à Lucilius) - parmi tant d'autres -, et dire, faire sentir l'immensité, l'importance toujours reconnue des littératures grecque et latine ; et le miracle (encore à expliquer) de l'Athènes des Ve et IVe siècles avant J.C., qui inventa tout, miracle que Rome, éblouie, relaya et poursuivit pendant au moins cinq siècles pour le rendre finalement éternel. 

                       Oui, il y avait, il y a quantité de façons de pratiquer cette initiation, qui se fit longtemps en 6e, puis passa en 5e dans les années 90 environ, avant de n'être qu'une possibilité offerte au professeur dans l'horaire de français de la classe. Mais on pouvait encore faire le nécessaire, se battre pour ces options. L'essentiel est d'y croire soi-même (combien de professeurs de français peu favorables à ces options ai-je vus, hélas !) ; de croire qu'il faut dans l'étude, dans la formation du jugement et la construction des connaissances, toujours un   détour   pour arriver à ses fins ; et, dans nos civilisations méditerranéennes, indo-européennes, un des  meilleurs détours (ou le meilleur, selon moi) est l'étude du grec et (ou) du latin. Cette pédagogie du détour, qui paraît de prime abord faire perdre du temps (voyons, il faut aller directement à l'essentiel !), personne, je crois n'en a aussi bien parlé que Jaqueline de Romilly, pour moi vraie pythie, aujourd'hui disparue, hélas ! de ces cultures, soit dans des entretiens célèbres soit, par exemple, dans son livre de 1989, La Grèce antique à la découverte de la liberté : "Une telle image de la Grèce, avec son dynamisme inépuisable et sa passion pour transposer chaque expérience en idées, sans cesse enrichies et revues, explique la valeur formatrice de cette littérature - valeur que ceux qui la connaissent ne cessent de proclamer. Ils sont trop souvent mal entendus". Tout ce qui est important dans la formation des jeunes est d'abord détour, c'est à dire parcours de découverte, d'initiation, d'épreuves, de bases fondamentales pour arriver, par un chemin indirect, détourné, plus fort, plus ouvert, plus libre d'esprit au terme voulu de la formation, qu'elle soit scientifique ou littéraire. C'est sans doute cela la formation générale, la culture générale, les Humanités comme on disait, qui font les meilleurs techniciens, pédagogues ou dirigeants de la cité ensuite. Voilà une conviction indispensable pour croire et faire croire à l'irremplaçable rôle des options grec et latin dans l'éducation des collégiens.

                                Je poursuivrai plus tard l'exposé de mon expérience. En particulier, je dirai l'importance des réunions d'information, après les cours, avec les parents ; et celle des voyages d'étude, qui furent nombreux au Collège d'Ussel  durant les près de quarante années où j'y fus professeur de français-latin-grec.                     

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11 juin 2012 1 11 /06 /juin /2012 10:06

SAM 4126SAM 4135SAM 4108 Je vais ici développer les raisons qui justifient, selon moi - et selon beaucoup de professeurs de lettres classiques sans doute - , le choix des options latin ou grec (ou : latin et grec) en Collège, comme je l'ai annoncé plusieurs fois ici, la dernière en mars de cette année. Défendre et promouvoir le latin et le grec fut, pour mes collègues et moi-même, un combat permanent contre les doutes et méconnaissances des enfants et des familles, contre l'administration parfois aussi ; combat dur et continu en général, mais également immense satisfaction d'oeuvrer pour une cause à laquelle j'ai toujours cru et crois encore profondément. Cette question des options latin et grec a fait, je le sais, l'objet de nombreux écrits et publications, j'en parlerai un peu par la suite ; mais ici, ce que je souhaite, c'est dire simplement ma propre expérience sur près de quarante ans d'enseignement des lettres, avec des éléments, des faits aussi précis que possible.

Ci-dessus : 3 livres pour les débuts et 2 affiches (partielles) sur les options.
A SUIVRE BIENTOT.
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14 mars 2012 3 14 /03 /mars /2012 18:21
 socrate02b.jpgCi-contre : buste en marbre de Socrate par Lysippe, copie romaine du 1er siècle, Musée du Louvre.

                                                     Je rerends donc  mon propos de janvier - en ce mois de mars 2012 - 

                                                    Reprenant mon propos de janvier, je précise donc ce que j'entendais par "moraux" et "matériels", quand je m'adressais à mes élèves. Les progrès matériels sont faciles à faire comprendre : matériaux de construction, moyens de transport, médecine, accès à l'eau potable, systèmes d'éclairage, armement ..., qu'il s'agisse de progrès directement utiles ou directement dangereux pour l'humanité. Dans ce domaine, chacun admettait vite ce que les siècles ont apporté. Pour les progrès moraux, les élèves me disaient comprendre avant tout la qualité de l'organisation sociale, la solidarité, le niveau d'éducation. Oui, approuvais-je, mais j'ajoutais : j'entends par "moral" au sens large les vertus essentielles d'un individu dans une communauté : désintéressement, dévouement, courage d'affronter les épreuves, force de caractère, fidélité à la parole donnée, bienveillance envers les autres et surtout les plus faibles ; une bonté fondamentale du coeur et de l'âme ; ce que les Grecs appelaient kaloskagathos (Platon, leur disais-je, a longuement tenté de définir la vertu dans le Gorgias et le Ménon au moins) et les Romains bonus (l'idéal pour Cicéron, précisais-je, est le vir bonus peritus dicendi : un homme honnête qui sait parler en public). Socrate, rappelais-je, n'a pas cessé de rechercher dans ses dialogues les qualités premières - éternelles même, immortelles - de l'homme ; Epictète, Plutarque et tant d'autres ont traité ce même sujet. Les auteurs latins n'ont pas cessé ensuite de poursuivre la recherche : Cicéron, Sénèque, Marc-Aurèle, Saint-Augustin entre autres. Chez nous, les moralistes comparables abondent : Montaigne au XVIe siècle, Molière au XVIIe, Rousseau et Voltaire au XVIIIe, pour n'en nommer que quatre. Et la liste serait vraiment longue si l'on citait les grands moralistes du monde entier, l'espagnol Unamuno et l'indien Gandhi n'étant que deux des plus connus.

                                                                 Ainsi, c'est vrai, les progrès matériels, ceux des techniques et sciences en fait, n'ont pas cessé, et ont amélioré, sans conteste, nos conditions quotidiennes de vie. Mais remarquons que ces progrès étaient, en quelque sorte, inévitables, mécaniques, une découverte entraînant l'autre (la roue et la voiture ne sont l'une qu'une conséquence développée de l'autre, par exemple) ; et qu'ils pouvaient avoir été faits ici ou là, indifféremment, plus ou moins tôt. Par contre, en quoi le citoyen d'Athènes du Ve siècle avant JC est-il pire, moins dévoué, moins sensible, moins artiste ... qu'un citoyen d'Europe ou d'Amérique aujourd'hui ? Réfléchissons, observons et tentons de répondre.

                                                      L'histoire, la lecture de tous les livres accumulés par les civilisations nous apprennent que les comportements individuels et sociaux - et leurs motivations - ont peu ou pas évolué. Les joies exprimées, les souffrances subies dans la maladie, les chagrins, les guerres ... n'ont pas changé. La pensée, la sensibilité au XXIe siècle n'ont rien de nouveau, ou de meilleur, comparées à celles de la Grèce ou de la Chine Antiques par exemple. L'homme est-il donc "meilleur" aujourd'hui ? Certes il a fait progresser dans beaucoup de pays la protection et les soins donnés aux gens, aux enfants ... ; certes il y a eu la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, l' O.N.U. ... Mais il y a eu aussi les plus épouvantables guerres mondiales jamais imaginables auparavant, les bombes atomiques (indéniable progrès technique !) d'Hiroshima et Nagazaki, la Shoah et autres génocides ... Les progrès matériels, techniques permettent désormais à l'homme de faire le mal comme jamais. Où est le progrès moral, la capacité d'être moins violent, plus dévoué à son prochain ? Sur un autre plan, quels progrès a fait la poésie, domaine à part et bien significatif de la spiritualité humaine ? Si je vous lis des extraits des Baltiques de Tranströmer (prix Nobel 2011), un poème de Baudelaire ou un passage d'Homère, de Virgile, verrez-vous un progrès de la sensibilité, un progrès dans l'expression des rêves et des aspirations de l'âme ? Pas du tout, et nous l'avons vérifié d'autres fois. Rien dans les manifestations et productions de l'esprit, de l'âme humains n'a changé ou progressé ; parfois même, on est tenté de croire que l'homme est devenu surtout (avec de nouveaux moyens techniques) plus cupide, plus mauvais, plus immoral

                          Non, je ne vois aucun progrès moral accompli par l'humanité depuis son apparition sur Terre ; ou du moins depuis que le cerveau humain, ainsi que le pensent tous les chercheurs aujourd'hui, est inchangé : nous avons le cerveau et les capacités intellectuelles et morales de l' Homo sapiens sapiens (comme on dit), et cela fait quelque 100 000 ans. 

                          Nous aurons d'autres nombreuses occasions, disais-je à mes élèves, de réfléchir à cette question, de trouver des exemples probants ; et je ne veux pas vous imposer, bien sûr, mon point de vue, d'autant que la croyance ou non en un progrès continu de l'humanité (dans tous les domaines) constitue deux camps. Au XIXe siècle, les progrès scientifiques ont induit chez beaucoup une foi totale dans le progrès. Tenez, voici deux citations que j'ai là sous la main. Renan écrivait dans ses Souvenirs : "Le plus simple écolier sait maintenant des vérités pour lesquelles Archimède eût sacrifié sa vie." Dans son Système de politique positive, Auguste Comte disait, toujours au XIXe siècle : "L'Amour pour principe, l'Ordre pour base, et le Progrès pour but." Vous chercherez vous-mêmes d'autres citations, chez Zola, chez Levi-Strauss ..., vous verrez. A l'opposé, d'autres dénoncent cette religion du progrès matériel. Ainsi, tenez, l'Indien Tagore, en 1964 ; dans Vers l'homme universel, je lis : "Il n'y a pas de limites à l'acquisition matérielle ni à celle de la connaissance. La civilisation européenne, mettant l'accent sur cette accumulation, oubliait que la meilleure contribution individuelle possible au progrès humain est le perfectionnement de la personnalité." Ou encore Albert Einstein, en 1930, dans Comment voir le monde : "La possession de merveilleux moyens de production n' a pas apporté la liberté, mais le souci et la famine." Et enfin, j'en finis avec le Marocain Allal Al-Fasi, mort en 1974, vous en chercherez d'autres : "La marche continue peut ne pas être, toujours, une avance." Ah ! si, j'ajoute, car chacun le connaît, et vous le connaîtrez mieux vous aussi : Baudelaire, dans ce même XIXe siècle scientiste et optimiste, s'oppose à cette idée répandue alors d'un progrès inéluctable ; mais lui, au nom surtout de la poésie et de sa croyance en une nature humaine inchangée et toujours souffrant de ses aspirations inassouvies. 

                                Dès lors, je vous le redis, quand nous approchons, étudions, de grands auteurs du passé, de l'Antiquité ou du Moyen Age par exemple, nous ne faisons pas marche arrière vers des analyses, des pensées dépassées - voire complètement inutiles pour le présent - ; nous allons vers une pensée toujours d'actualité, et souvent irremplaçable avec de grands auteurs jamais en fait égalés depuis. De plus, nous découvrons alors que les hommes du passé ont rencontré les mêmes joies, les mêmes peines, les mêmes éternels problèmes du bien, du mal, de la liberté, de la vie en groupe ; qu'ils ont proposé des solutions, et qu'elles sont fréquemment utilisables aujourd'hui. Et quelle satisfaction que de constater que telle idée, tel remède ne datent pas d'hier mais ont été décrits - avec génie souvent - il y a plus de 2000 ans ! Cela rend modeste, évite des erreurs (qui sont, hélas ! celles de l'ignorance), et évite aussi le naïf orgueil de croire que le XXIe siècle a tout inventé ou que, du moins, il a tout amélioré, jusqu'aux prochains progrès attendus qui rendront caducs tous les écrits, toutes le solutions antérieures.

                            Je reparlerai d'ailleurs de ce trésor du passé, indispensable selon moi, en revenant sur les raisons qui doivent vous déterminer à choisir ou à poursuivre les options latin et grec en collège et en lycée.    

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8 janvier 2012 7 08 /01 /janvier /2012 10:46

     UNE DEFINITION PRATIQUE DE : "PROGRES MORAUX ET MATERIELS" -

    Ainsi que je l'annonçais en mars dernier, je vais proposer -  un peu tardivement, c'est vrai, en ce mois de janvier de la nouvelle année - une définition pratique des termes : progrès, moral et matériel  alors utilisés pour évoquer cette considération, avec mes élèves surtout, sur les progrès de l'humanité.                         
                                                Cette idée, cette notion de progrès, en effet, occupe en permanence l'esprit des gens (la plupart, disons) et des élèves, de façon consciente ou non, avec cette croyance que le monde, l'humanité, depuis la nuit des temps, avancent quoi qu'il arrive vers une constante amélioration, sont animés d'un progrès continu  - et inévitable, en quelque sorte. Les pays, les civilisations, les guerres, les reculs ... apparents ou réels n'y feraient rien : l'humanité progresse inéluctablement, s'améliore et améliore tout dans ses façons de vivre et de penser. C'est le mythe rassurant (et facile à comprendre donc), qui envahit tout, d'un futur toujours meilleur, qui de plus rejetterait le passé, surtout lointain, dans les annales misérables d'une humanité encore peu ou pas développée. 
                                              Or, cette croyance repose, selon moi - et autant que j'ai pu constamment l'observer chez mes élèves,  bons ou mauvais comme on dit en simplifiant abusivement - sur une confusion ; et a de graves conséquences. La confusion vient d'abord du fait qu'on ne fait pas alors la différence entre progrès matériel et progrès moral.  A SUIVRE DONC.

 

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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 17:44
         Progrès "moraux" et "matériels " de l'humanité -                       

 

   Ainsi que je l'annonçais en août dernier, je me propose ici de donner quelques réflexions sur les rapports entre les progrès moraux et les progrès matériels, tels qu'ils me sont apparus au fil des études, des lectures, des conversations  ; et tels que j'ai pu les considérer avec mes élèves dans les échanges qui touchaient à ce sujet. Dans ces échanges en particulier se présente fréquemment ce problème des progrès liés au temps. Car fréquemment aussi, il s'avère indispensable de convaincre les élèves que, au moment où je leur parle, l'humanité n'est pas arrivée indiscutablement à son stade le plus élevé des progrès de la civilisation ; et que même des civilisations plus anciennes, ou antiques, étaient parvenues à un degré sans doute (l'étude justement peut permettre de le vérifier) plus grand de développement, surtout dans les domaines intellectuels, moraux. J'ai dû souvent, justement, discuter de ces progrès, au moment où je voulais, devais persuader les élèves de l'utilité d'étudier le grec et le latin, en les débarrassant de l'idée bien ancrée que les siècles et leurs progrès ont rendu futiles, caduques, inutiles donc ces études. Je touche là d'ailleurs à un sujet que j'envisage de traiter ici plus tard : motiver les élèves pour les options latin/grec, recruter tout simplement pour ces options que je n'ai cessé de considérer comme essentielles et passionnantes.

                  Il me faut d'abord, avant de poursuivre, dire en quelques mots ce que j'entends, ce que je voulais dire à mes élèves par les termes :  progrès, moraux, matériels.

                  A suivre.

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